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08/04/2014

Lou Drapé

LOU DRAPÉ, cheval maléfique 

 

À Aigues-Mortes, on raconte qu'à la nuit tombée, un cheval fabuleux traverse la ville, invitant les enfants égarés à monter sur sa croupe. Il s'appelle lou Drapé et aurait ainsi emporté sur son dos plusieurs centaines de victimes.

 

En 1818, l’écrivain Jacques Albin Simon Collin de Plancy dédie une page au cheval légendaire d'Aigues-Mortes dans son Dictionnaire infernal. Diabolique, il est décrit comme « la terreur des enfants, qui les retient un peu sous l’aile de leurs parents et réprime la négligence des mères ». Et pour cause ; lorsqu il passe dans les rues le coursier ramasse sur son dos tous les enfants égarés. Cheval fantastique, sa croupe s’allonge encore et encore afin d’en porter jusqu'à cent ! Alors il emmène ses jeunes cavaliers à vive allure. Vers quelle destination ? La réponse demeure un mystère…

 

Sombre présage...

Depuis les civilisations les plus anciennes le cheval détient le rôle de psychopompe. C'est lui, l’animal chargé de transporter les vivants vers le royaume des morts. C'est lui encore, qui pendant longtemps menait les convois funèbres au son du glas. Dans certaines cultures archaïques, l’idéogramme représentant le cheval signifie également « mort ». La symbolique du cheval est double. Solaire il est aussi intimement lié au monde des ténèbres. Depuis l'Antiquité, certains coursiers sont ainsi appelés « chevaux de la mort » ou « présage de mort ». Les voir ou les entendre porte malheur et annonce une fin imminente. Ainsi Homère dans L’Iliade, raconte-t-il le moment ou Xanthos, l’une des fidèles montures du héros Achille prévient son maître de sa mort prochaine, tel un devin. Mais certains chevaux ne sont pas seulement les messagers de la grande faucheuse, ils en sont les attributs. Dès lors ils provoquent eux-mêmes le décès. Ainsi lou Drapé appartient-il a cette sombre famille de chevaux funestes. Il en porte la robe blême, celle du quatrième cheval de l’Apocalypse, rappelant la couleur du suaire ou du fantôme. Mais ce n'est pas tout, blanche est également la robe de « tous les chevaux néfastes complices des eaux tourbillonnantes que l'on rencontre dans le folklore franco-allemand » (Jean Chevalier et A. Gheerbrant : Dictionnaire des Symboles / Robert Laffont 2004).

 

Au fil de l'eau...

Le cheval et l'eau partagent une étrange et maléfique complicité. Ainsi, la présence de lou Drapé dans une zone marécageuse n’est pas le fruit du hasard. Car il n'est pas un simple cheval fantôme. Sa personnalité est bien plus complexe. Dans le Midi de la France, les dracs sont des génies généralement malfaisants, qui hantent les eaux. Ils se présentent aux humains sous de multiples figures pour les séduire et les mener à leur perte. Et le cheval est l’une des formes qu’ils adoptent le plus souvent. Ainsi à la nuit tombée lorsque une vapeur monte des eaux, « les silhouettes du lutin et du cheval tendent à se confondre et a se fondre en un seul personnage dont le rôle est d’égarer, d’effrayer et de précipiter dans quelque mare ou rivière ceux qui les montent » (Jean Michel Doulet : Quand les démons enlevaient des enfants / Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 2002). Lou Drapé n’est pas le seul exemple du genre. Citons ainsi le cas du drac du Cantal, apparaissant tel un magnifique cheval blanc qui ramasse les voyageurs sur son dos avant de les noyer dans l’Alagnon.

 

Destination finale...

Mais revenons à lou Drapé. Où disparaît-il donc une fois le méfait accompli ? Que fait-il des enfants attirés par la musique de ses sabots frappant le sol au rythme d’un petit trot ?

Les écrivains, passeurs de la tradition, ne sont pas tous d’accord sur le sujet. Certains parlent d’un « mystérieux royaume » (Catherine Rager : Dictionnaire des fées et du peuple invisible dans l’occident païen / éditions Brepols 2003) où les enfants seraient tenus prisonniers à jamais. D’autres, plus pessimistes ou réalistes, affirment que lou Drapé les emmène jusqu’aux terribles sables mouvants des marécages alentour (Bernard Sergent : Le guide de la France mythologique / éditions Payot 2007). II faut dire qu'aux pieds du village, le fleuve côtier du Vidourle est connu pour ses débordements et autres dangereux caprices…

Au regard des précédentes révélations sur l’importance du cheval dans les symboliques, il semble que le coursier d’Aigues-Mortes mène ses cavaliers vers l'au-delà… Un au-delà effrayant sous la plume de certains auteurs, exalté par d'autres. Ainsi, Catherine Rager compare-t-elle la légende de lou Drapé au célèbre film d'Albert Lamorisse, Crin Blanc. Peut-être le cheval, comme le peut Camarguais du septième art, sauverait-il les enfants et autres orphelins trouvés sur les routes d’un monde cruel qui ne voudrait pas d’eux. En les enlevant, il leur offrirait alors la possibilité d’atteindre un pays où « les enfants et les chevaux sont toujours amis » (Catherine Rager)…

Lou Drapé reste un mystère qui hante la Camargue. Aujourd’hui encore une comptine résonne dans les rues d’Aigues-Mortes, mettant en garde les enfants du diabolique coursier. « Qui

montera lou Drapé / Toi ou moi / Celui que lou Drapé emportera / Ce sera toi ! »

 

GRAND PRIX Magazine / Septembre 2010.

( Source 

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Lou Drapé, le cheval-fantôme d’Aigues-Mortes.

 

Par Amélie Tsaag Valren

Pôle mythes et légendes de la Fédération Française Médiévale.

 

La maman du Gard dit a son bambin « lou Drapé, garde t'en bien ! » dans la langue chantante du pays. Au cœur des marécages de la Petite Camargue se dresse Aigues-Mortes, ville de mortes-eaux désormais blottie derrière ses remparts. A cette époque, on ne peut étendre un bras nu plus de trois secondes dans la rue sans qu’il se couvre d’une marée grouillante de moustiques, de dardargnans aiguilleurs à la soif de sang aiguisée ! Bien avant que la vague touristique ne s’en vienne, bien avant que l'homme n'enfouisse la nature sauvage sous de luxueuses résidences de vacances, bien avant qu'il ne domestique les derniers Crin-Blanc « divaguant » hors des enclos. Nous sommes au XIXe siècle, à l'époque où les rues du Gard, pas encore éclairées, sont chaque nuit le théâtre d'un grand ballet de dangereux esprits.

 

« Qui montera lou Drapé ? Toi ou moi ?

Celui que lou Drapé emportera, ce sera toi ! »

 

Cette comptine est chantée par les enfants qui jouent entre eux après le dîner. Que la nuit étende son voile, qu'ils partent se coucher et parfois, une musique charmeuse naît derrière les remparts. Les enfants s’éveillent, seuls, ils perçoivent cette mélodie que leurs parents ont oubliée depuis plus d’une décennie. Ils quittent leurs maisons en silence, bras étendus en avant, yeux clos, ils marchent, ils marchent et ne sentent ni le sol écorcher leurs pieds ni l'armée des moustiques percer leur peau. Parvenus aux portes de la ville, ils s’arrêtent et guettent le passage d’un grand cheval blanc. La musique des sabots de Lou drapé exerce sur eux cet irrésistible attrait.

  

Il gagne les marais du Grau du Roi…

Le cheval fantôme vient à passer et prend sur son dos tous les enfants égarés, les uns après les autres. Qu’il manque de place et sa croupe, d'abord de taille ordinaire, s'allonge pour en contenir cinquante et cent ! Échevelé, il repart au grand galop lorsqu’il juge sa charge suffisante. Où conduit-il les enfants ? D’aucuns disent qu’il gagne les marais du Grau-du-Roi, mais qu'en savent-ils ? Ceux que prend lou Drapé en croupe n'en reviennent jamais plus. Certains parents pensent que leurs bambins disparaissent un temps seulement au pays des fées, celui où Crin-Blanc a conduit le jeune Folco, cet Autre Monde, proche et lointain. Ils en reviennent beaucoup plus tard, un peu fadas, légèrement enfadés. Un peu "fous", en bon françois. Suffisamment fous, en tout cas, pour dire haut et fort : "je crois aux chevaux-fée, j'en ai même rencontré !".  

Pour l’elficologue Pétrus Barbygère (avatar, paraît-il, du respectable écrivain Pierre Dubois), arpenteur de ces mondes étranges et connaisseurs de leurs secrets, lou Drapé est le cousin des chevaux-fée, blêmes juments et Mallets, bians chevaux et blanques juments, une foule cavalante et écumante en différents patois contée. Venus de la mer et des eaux, ces chevaux-fée sont redevenus sauvages quand les hommes ont oublié la bonne façon de les apprivoiser. (Moins poétiquement, ils proviennent du souvenir de sacrifices équins aux divinités mineures régissant les eaux, des pratiques disparues avec l'arrivée du Christianisme en Europe occidentale).

Si l'on s'appuie sur l'étymologie proposée par Frédéric Mistral, "drapet, draquet", soit "petit drac", lou Drapé est sans doute aucun une créature déguisée, drapée dans un suaire, comme un fantôme ! Pour Jacques de Boez, il symbolise le courage du cheval qui jamais ne recule devant l’ouvrage ni n’abandonne son travail. Voilà qui serait curieux, car lou Drapé est en vérité un drac, à n’en point douter !

 

Drac ?…

Au Sud de la Loire, toute créature un peu fantastique peut s'appeler ainsi ! Multiforme, parfois dragon, parfois lutin ou encore loup-garou, démon de l'eau ou engeance du Diable, le drac apparaît aussi sous la forme du cheval. Le Dictionnaire des symboles le cite d’ailleurs comme un « beau cheval blanc qui saisit les voyageurs pour les noyer dans le Doubs », même s'il ne s'agit là que d'une des multiples formes qu'il revêt. Car le drac, c'est l'eau sauvage, l'eau qui déborde, l'eau qui serpente et parfois se fâche et se fiche - "floutch !" - des barrages et retenues comme d'une guigne. L'eau qui fait ce qui lui plaît, irriguant là, noyant ici ! 

Les Aigues-mortais ont oublié lou Drapé depuis bien longtemps. Les enfants ne savent plus rien de lui ! Le célèbre Collin de Plancy, collecteur puis pourfendeur des traditions populaires, en parle dans son Dictionnaire infernal. En 1856, Jean-Paul Migne, associé de ce dernier, fait de même dans l’Encyclopédie théologique : « C'est comme le croque-mitaine des Parisiens et l'ogre du Petit Poucet de Perrault. […] Lou Drapé est donc non-seulement pour les bambins un objet de terreur, mais encore le thème de leurs plus sérieux commentaires. » 

Il était bien connu au milieu du XIXème, notre lou Drapé, et même après. Paul Sébillot, collecteur des traditions populaires à la charnière des XIXème et XXème siècles, est curieusement muet à son sujet, dans cette immense série d'ouvrages composant Le Folklore de France. Cent cinquante ans plus tard, il ne reste absolument rien de cet étrange cheval-fée.

 

Le témoignage invisible d'une nature Camarguaise crainte et respectée…

Par hasard, cette légende est la première dont j'ai cherché à collecter le souvenir. Que le Vidourle soit devenu trop sage, que les marais soient domestiqués, que l’automobile, le tracteur et l'éclairage public l'aient chassé, lou Drapé n'est plus ! 

Que perd-t-on, en cessant de transmettre ces vieilles légendes ? Bien des choses… l'imagination, la mémoire des lieux, le lien à la terre, la connaissance du sol que l'on foule, la capacité à rêver devant la beauté des paysages (du Sud ou d'ailleurs), le mystère de sa monture, et par dessus tout… le respect envers la nature. Car lou Drapé, pour terrifiant qu'il soit, est le témoignage invisible d'une nature Camarguaise crainte et respectée. Une Camargue qui n'existe plus, celle qu'arpentaient de libres troupeaux sauvages. Le témoignage d'un monde passé, touchant au cœur ceux qui prennent le temps de le rêver. Le temps de l'imaginer.

 

Source : Cheval Savoir

http://www.cheval-savoir.com/974-lou-drape-cheval-fantome-aigues-mortes 

Voir aussi : http://www.fabyrinthe.com/

 

N.B : Cet article fait partie d'un ouvrage en recherche d'éditeur.

 

LouDrape.jpg

(Source Photographique)

 

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