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08/04/2014

Lou Drapé

LOU DRAPÉ, cheval maléfique 

 

À Aigues-Mortes, on raconte qu'à la nuit tombée, un cheval fabuleux traverse la ville, invitant les enfants égarés à monter sur sa croupe. Il s'appelle lou Drapé et aurait ainsi emporté sur son dos plusieurs centaines de victimes.

 

En 1818, l’écrivain Jacques Albin Simon Collin de Plancy dédie une page au cheval légendaire d'Aigues-Mortes dans son Dictionnaire infernal. Diabolique, il est décrit comme « la terreur des enfants, qui les retient un peu sous l’aile de leurs parents et réprime la négligence des mères ». Et pour cause ; lorsqu il passe dans les rues le coursier ramasse sur son dos tous les enfants égarés. Cheval fantastique, sa croupe s’allonge encore et encore afin d’en porter jusqu'à cent ! Alors il emmène ses jeunes cavaliers à vive allure. Vers quelle destination ? La réponse demeure un mystère…

 

Sombre présage...

Depuis les civilisations les plus anciennes le cheval détient le rôle de psychopompe. C'est lui, l’animal chargé de transporter les vivants vers le royaume des morts. C'est lui encore, qui pendant longtemps menait les convois funèbres au son du glas. Dans certaines cultures archaïques, l’idéogramme représentant le cheval signifie également « mort ». La symbolique du cheval est double. Solaire il est aussi intimement lié au monde des ténèbres. Depuis l'Antiquité, certains coursiers sont ainsi appelés « chevaux de la mort » ou « présage de mort ». Les voir ou les entendre porte malheur et annonce une fin imminente. Ainsi Homère dans L’Iliade, raconte-t-il le moment ou Xanthos, l’une des fidèles montures du héros Achille prévient son maître de sa mort prochaine, tel un devin. Mais certains chevaux ne sont pas seulement les messagers de la grande faucheuse, ils en sont les attributs. Dès lors ils provoquent eux-mêmes le décès. Ainsi lou Drapé appartient-il a cette sombre famille de chevaux funestes. Il en porte la robe blême, celle du quatrième cheval de l’Apocalypse, rappelant la couleur du suaire ou du fantôme. Mais ce n'est pas tout, blanche est également la robe de « tous les chevaux néfastes complices des eaux tourbillonnantes que l'on rencontre dans le folklore franco-allemand » (Jean Chevalier et A. Gheerbrant : Dictionnaire des Symboles / Robert Laffont 2004).

 

Au fil de l'eau...

Le cheval et l'eau partagent une étrange et maléfique complicité. Ainsi, la présence de lou Drapé dans une zone marécageuse n’est pas le fruit du hasard. Car il n'est pas un simple cheval fantôme. Sa personnalité est bien plus complexe. Dans le Midi de la France, les dracs sont des génies généralement malfaisants, qui hantent les eaux. Ils se présentent aux humains sous de multiples figures pour les séduire et les mener à leur perte. Et le cheval est l’une des formes qu’ils adoptent le plus souvent. Ainsi à la nuit tombée lorsque une vapeur monte des eaux, « les silhouettes du lutin et du cheval tendent à se confondre et a se fondre en un seul personnage dont le rôle est d’égarer, d’effrayer et de précipiter dans quelque mare ou rivière ceux qui les montent » (Jean Michel Doulet : Quand les démons enlevaient des enfants / Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 2002). Lou Drapé n’est pas le seul exemple du genre. Citons ainsi le cas du drac du Cantal, apparaissant tel un magnifique cheval blanc qui ramasse les voyageurs sur son dos avant de les noyer dans l’Alagnon.

 

Destination finale...

Mais revenons à lou Drapé. Où disparaît-il donc une fois le méfait accompli ? Que fait-il des enfants attirés par la musique de ses sabots frappant le sol au rythme d’un petit trot ?

Les écrivains, passeurs de la tradition, ne sont pas tous d’accord sur le sujet. Certains parlent d’un « mystérieux royaume » (Catherine Rager : Dictionnaire des fées et du peuple invisible dans l’occident païen / éditions Brepols 2003) où les enfants seraient tenus prisonniers à jamais. D’autres, plus pessimistes ou réalistes, affirment que lou Drapé les emmène jusqu’aux terribles sables mouvants des marécages alentour (Bernard Sergent : Le guide de la France mythologique / éditions Payot 2007). II faut dire qu'aux pieds du village, le fleuve côtier du Vidourle est connu pour ses débordements et autres dangereux caprices…

Au regard des précédentes révélations sur l’importance du cheval dans les symboliques, il semble que le coursier d’Aigues-Mortes mène ses cavaliers vers l'au-delà… Un au-delà effrayant sous la plume de certains auteurs, exalté par d'autres. Ainsi, Catherine Rager compare-t-elle la légende de lou Drapé au célèbre film d'Albert Lamorisse, Crin Blanc. Peut-être le cheval, comme le peut Camarguais du septième art, sauverait-il les enfants et autres orphelins trouvés sur les routes d’un monde cruel qui ne voudrait pas d’eux. En les enlevant, il leur offrirait alors la possibilité d’atteindre un pays où « les enfants et les chevaux sont toujours amis » (Catherine Rager)…

Lou Drapé reste un mystère qui hante la Camargue. Aujourd’hui encore une comptine résonne dans les rues d’Aigues-Mortes, mettant en garde les enfants du diabolique coursier. « Qui

montera lou Drapé / Toi ou moi / Celui que lou Drapé emportera / Ce sera toi ! »

 

GRAND PRIX Magazine / Septembre 2010.

( Source 

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Lou Drapé, le cheval-fantôme d’Aigues-Mortes.

 

Par Amélie Tsaag Valren

Pôle mythes et légendes de la Fédération Française Médiévale.

 

La maman du Gard dit a son bambin « lou Drapé, garde t'en bien ! » dans la langue chantante du pays. Au cœur des marécages de la Petite Camargue se dresse Aigues-Mortes, ville de mortes-eaux désormais blottie derrière ses remparts. A cette époque, on ne peut étendre un bras nu plus de trois secondes dans la rue sans qu’il se couvre d’une marée grouillante de moustiques, de dardargnans aiguilleurs à la soif de sang aiguisée ! Bien avant que la vague touristique ne s’en vienne, bien avant que l'homme n'enfouisse la nature sauvage sous de luxueuses résidences de vacances, bien avant qu'il ne domestique les derniers Crin-Blanc « divaguant » hors des enclos. Nous sommes au XIXe siècle, à l'époque où les rues du Gard, pas encore éclairées, sont chaque nuit le théâtre d'un grand ballet de dangereux esprits.

 

« Qui montera lou Drapé ? Toi ou moi ?

Celui que lou Drapé emportera, ce sera toi ! »

 

Cette comptine est chantée par les enfants qui jouent entre eux après le dîner. Que la nuit étende son voile, qu'ils partent se coucher et parfois, une musique charmeuse naît derrière les remparts. Les enfants s’éveillent, seuls, ils perçoivent cette mélodie que leurs parents ont oubliée depuis plus d’une décennie. Ils quittent leurs maisons en silence, bras étendus en avant, yeux clos, ils marchent, ils marchent et ne sentent ni le sol écorcher leurs pieds ni l'armée des moustiques percer leur peau. Parvenus aux portes de la ville, ils s’arrêtent et guettent le passage d’un grand cheval blanc. La musique des sabots de Lou drapé exerce sur eux cet irrésistible attrait.

  

Il gagne les marais du Grau du Roi…

Le cheval fantôme vient à passer et prend sur son dos tous les enfants égarés, les uns après les autres. Qu’il manque de place et sa croupe, d'abord de taille ordinaire, s'allonge pour en contenir cinquante et cent ! Échevelé, il repart au grand galop lorsqu’il juge sa charge suffisante. Où conduit-il les enfants ? D’aucuns disent qu’il gagne les marais du Grau-du-Roi, mais qu'en savent-ils ? Ceux que prend lou Drapé en croupe n'en reviennent jamais plus. Certains parents pensent que leurs bambins disparaissent un temps seulement au pays des fées, celui où Crin-Blanc a conduit le jeune Folco, cet Autre Monde, proche et lointain. Ils en reviennent beaucoup plus tard, un peu fadas, légèrement enfadés. Un peu "fous", en bon françois. Suffisamment fous, en tout cas, pour dire haut et fort : "je crois aux chevaux-fée, j'en ai même rencontré !".  

Pour l’elficologue Pétrus Barbygère (avatar, paraît-il, du respectable écrivain Pierre Dubois), arpenteur de ces mondes étranges et connaisseurs de leurs secrets, lou Drapé est le cousin des chevaux-fée, blêmes juments et Mallets, bians chevaux et blanques juments, une foule cavalante et écumante en différents patois contée. Venus de la mer et des eaux, ces chevaux-fée sont redevenus sauvages quand les hommes ont oublié la bonne façon de les apprivoiser. (Moins poétiquement, ils proviennent du souvenir de sacrifices équins aux divinités mineures régissant les eaux, des pratiques disparues avec l'arrivée du Christianisme en Europe occidentale).

Si l'on s'appuie sur l'étymologie proposée par Frédéric Mistral, "drapet, draquet", soit "petit drac", lou Drapé est sans doute aucun une créature déguisée, drapée dans un suaire, comme un fantôme ! Pour Jacques de Boez, il symbolise le courage du cheval qui jamais ne recule devant l’ouvrage ni n’abandonne son travail. Voilà qui serait curieux, car lou Drapé est en vérité un drac, à n’en point douter !

 

Drac ?…

Au Sud de la Loire, toute créature un peu fantastique peut s'appeler ainsi ! Multiforme, parfois dragon, parfois lutin ou encore loup-garou, démon de l'eau ou engeance du Diable, le drac apparaît aussi sous la forme du cheval. Le Dictionnaire des symboles le cite d’ailleurs comme un « beau cheval blanc qui saisit les voyageurs pour les noyer dans le Doubs », même s'il ne s'agit là que d'une des multiples formes qu'il revêt. Car le drac, c'est l'eau sauvage, l'eau qui déborde, l'eau qui serpente et parfois se fâche et se fiche - "floutch !" - des barrages et retenues comme d'une guigne. L'eau qui fait ce qui lui plaît, irriguant là, noyant ici ! 

Les Aigues-mortais ont oublié lou Drapé depuis bien longtemps. Les enfants ne savent plus rien de lui ! Le célèbre Collin de Plancy, collecteur puis pourfendeur des traditions populaires, en parle dans son Dictionnaire infernal. En 1856, Jean-Paul Migne, associé de ce dernier, fait de même dans l’Encyclopédie théologique : « C'est comme le croque-mitaine des Parisiens et l'ogre du Petit Poucet de Perrault. […] Lou Drapé est donc non-seulement pour les bambins un objet de terreur, mais encore le thème de leurs plus sérieux commentaires. » 

Il était bien connu au milieu du XIXème, notre lou Drapé, et même après. Paul Sébillot, collecteur des traditions populaires à la charnière des XIXème et XXème siècles, est curieusement muet à son sujet, dans cette immense série d'ouvrages composant Le Folklore de France. Cent cinquante ans plus tard, il ne reste absolument rien de cet étrange cheval-fée.

 

Le témoignage invisible d'une nature Camarguaise crainte et respectée…

Par hasard, cette légende est la première dont j'ai cherché à collecter le souvenir. Que le Vidourle soit devenu trop sage, que les marais soient domestiqués, que l’automobile, le tracteur et l'éclairage public l'aient chassé, lou Drapé n'est plus ! 

Que perd-t-on, en cessant de transmettre ces vieilles légendes ? Bien des choses… l'imagination, la mémoire des lieux, le lien à la terre, la connaissance du sol que l'on foule, la capacité à rêver devant la beauté des paysages (du Sud ou d'ailleurs), le mystère de sa monture, et par dessus tout… le respect envers la nature. Car lou Drapé, pour terrifiant qu'il soit, est le témoignage invisible d'une nature Camarguaise crainte et respectée. Une Camargue qui n'existe plus, celle qu'arpentaient de libres troupeaux sauvages. Le témoignage d'un monde passé, touchant au cœur ceux qui prennent le temps de le rêver. Le temps de l'imaginer.

 

Source : Cheval Savoir

http://www.cheval-savoir.com/974-lou-drape-cheval-fantome-aigues-mortes 

Voir aussi : http://www.fabyrinthe.com/

 

N.B : Cet article fait partie d'un ouvrage en recherche d'éditeur.

 

LouDrape.jpg

(Source Photographique)

 

29/03/2014

Le Féericologue (Journal d’un Chasseur de Fées)

http://lefeericologue.blogspot.fr/

 

Fans de Vincenot, Seignolle ou Machen, voyageurs ayant visa permanent pour les Terres du Rêve et les royaumes de Féérie, amis et amies du « Petit Peuple »… vous qui, comme nous, n’avez jamais oublié ces chemins de mystères où savent si bien nous mener nos âme d’enfant… ne manquez pas de rendre visite au « Féericologue (Journal d’un Chasseur de Fées) », le blog d'Hervé Thiry-Duval… le conteur amoureux de ces « monstres et merveilles » qui vivent au quotidien parmi nos ombres.

 

Morceau choisi :  

 

C’était il y a quelques années. Un beau soir de fin été.  Peu à peu les oiseaux d’alentour avaient finit de se souhaiter une bonne nuit. Un doux silence régnait maintenant sur la campagne.  Il faisait bon. Les infatigables grillons nocturnes ne s’étaient pas encore mis à chanter. Les premières étoiles apparaissaient dans le ciel bleu sombre pour y dessiner des constellations qu’on n’avait encore jamais remarqué. Un tout petit vent léger parfumait l’air de senteurs sucrées. Ça sentait le miel et la framboise.  Par un soir pareil, personne n’avait envie de s’enfermer dans une maison. Personne n’avait envie d’aller dormir, de peur que demain la vie semble moins belle. Moins vivante. C’était il y a quelques années.  Aux temps des grandes vacances. Du farniente. Un de ces soirs terrestres qui nous fait croire aux douceurs du paradis.

Un de ces soirs magiques qu’on aimerait pouvoir vivre éternellement.

Comme tous les autres habitants de la région, François Frechard profitait de ces instants si précieux. Pour tout vous dire, c’était bien rare qu’il délaisse sa télévision mais cette fois-là même lui avait sentit que c’était un soir d’été à ne pas rater. Assis sur un vieux banc de pierre devant sa maison, il contemplait en solitaire les derniers feux du soleil qui se couchait derrière les collines. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait assisté à quelque chose d’aussi merveilleux. François Frechard resta encore un bon moment sur son banc  à rêvasser. Et puis, il  allait tout de même se décider à rentrer chez lui quand son regard se posa sur le grand champ qui faisait face à sa maison.

Là,  imperceptiblement une sorte de fumée est apparut. Une fumée verte s’est dressée au beau milieu de cette grande prairie d’herbes sauvages. Elle s’est mise à danser, presque certaine de pas être vu. Pourtant François Frechard  l’observait. Il la mangeait du regard. C’était si inattendu, si surprenant. Il n’avait jamais vu une chose comme çà. Même dans sa télévision. En dansant cette drôle de fumée prenait de vagues formes féminines. C’est alors que la fumée verte a augmenté la dose d’extraordinaire. Dans l’air du soir, elle a tout doucement murmuré : François… François… en entendant son prénom l’homme s’est levé de son banc comme un automate.  L’air encore plus ahuri qu’à l’ordinaire, François a commencé à se diriger vers la prairie. Là où de l’incroyable l’appelait.

C’était il y a quelques années. Un beau soir de fin été. Dans la prairie une fumée verte dansait près d’une petite mare. Parfaitement immobile sur le muret en pierres du jardin, un chat la regardait. L’observait de ses yeux malins. Un chat noir qui s’appelait Pissenlit. Ce chat n’était pas né de la dernière pluie. C’était un vieux chat qui avait déjà vécu plusieurs vies. Cette curieuse fumée verte, le matou savait ce que c’était. Il en avait déjà vu. Et bien des fois. Il faut le savoir, concernant les phénomènes étranges de notre monde, les chats sont souvent  plus instruits que les humains. Les chats sont plus observateurs. L’animal à moustaches regardait son maître se diriger comme un somnambule dans la direction de la fumée verte. Pissenlit aurait bien aimé lui expliquer, lui dire que c’était sûrement dangereux de s’approcher. Mais il était déjà trop tard, François Frechard était à deux pas de la petite mare. Ma foi, ce n’était pas tous les soirs qu’on pouvait rencontrer un esprit follet. Bien des hommes ne vivront jamais d’aventures aussi fabuleuses. Ces créatures fantasques ne se montrent pas si souvent. Les Follets n’aiment guère la compagnie des humains. Pour eux les humains d’aujourd’hui sont trop balourds, trop réel, trop terre à terre. Ils ont du mal à croire aux créatures surnaturelles. François n’a même pas ralenti quand il a marché sur un sol marécageux. Une terre molle où François s’est enfoncé peu à peu alors que la fumée verte dansait joyeusement autour de lui. Maintenant il était définitivement  piégé. Il lui semblait qu’on le tirait par les pieds, que de petites mains glacées l’attiraient dans les profondeurs. L’air hébété, il ne se débattait même pas. Alors en moins de cinq minutes cet homme disparut de la surface de la terre.  C’est ainsi que François Frechard connu son dernier soir d’été.

Plus tard, bien plus tard, son cas fut classé par la gendarmerie dans la catégorie des disparitions inexpliquée. Contre toute attente François Frechard  devint un mystère. Personne au village  n’a jamais sut ce qui lui était arrivé, sauf un témoin du nom de Pissenlit, mais les gendarmes n’ont pas daigné l’interroger.

C’est bien dommage car Pissenlit, je peux en témoigner, est un sacré raconteur d’histoires...

 

La fumée verte, Hervé Thiry-Duval, 8 mars 2014.

 

http://lefeericologue.blogspot.fr/2014/03/la-fumee-verte.html

 

http://lefeericologue.blogspot.fr/

 

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Voir également : http://lajumentverte.wix.com/association

 

06/02/2014

Le TOUT Primordial...

Pan, le Tout primordial

 

Dieu des Cultes Pastoraux, Pan possède un corps à moitié humain et à moitié animal. Barbu, velu, cornu, il a des jambes de chèvre aux sabots fendus et des yeux rusés étirés sur les tempes.

C’est un satyre à l’appétit sexuel démesuré, qui assaille indifféremment les nymphes et les jeunes garçons ; à défaut de proies, il se livre à l’onanisme, tant sa sexualité est exigeante. Il vit dans les forêts, et sa couleur est le vert. Son nom, Pan, signifie "Tout", et le Grand Pan désigne le Grand Tout, l’énergie primordiale et féconde propre à l’univers et à la vie, dont l’expression peut être parfois anarchique et chaotique. Il incarne la puissance des éléments de la nature, dont le déchaînement provoque une "peur-panique", signe de l’affolement des sens et de la raison qui saisit quiconque se trouve en contact avec ce dieu avide et désordonné, à notre ressemblance.

L’Eglise catholique romaine, on le comprend, n’a eu aucun mal à métamorphoser un pareil dieu en diable satanique, en bouc cornu des sabbats. Certains auteurs, notamment dans le registre du romantisme noir et du fantastique, ont à leur tour retenu l’assimilation du Grand Pan au diable, en décrivant l’effroi glacé qui saisit l’être humain suffisamment inconscient pour regarder en face ce dieu redoutable.

Cette terreur ressentie par quiconque rencontrait le dieu Pan est au cœur de l’œuvre des grands écrivains du fantastique noir du XXe siècle : citons, entre autres, H.P. Lovecraft et Gustav Meyrink, qui dans son roman Le Visage Vert évoque le mythe du Chidher (ou Chadhir, ou El-Chidr), à savoir "le prophète vert" de la tradition islamique. Chidher, "le Vert", ou encore Huzur dans les traditions ésotériques de l’islam, a bu de l’eau de vie et ne mourra qu’au son de la trompette du Jugement dernier. Il peut être assimilé à l’Hermès Trismégiste égyptien, à saint Jean, au prophète Elie ou encore au dieu Pan.

Il est "l’Homme Vert", à savoir l’homme de chair incarné sur terre, proche de l’état de nature, se régénérant chaque année au printemps jusqu’à ce que, à la fin des temps, il meure à lui-même, en quittant son enveloppe charnelle (symbolisée par le vert) pour accueillir le Messie et se fondre dans la claire lumière de Dieu.

Pan, c’est avant tout le Dieu Vert, celui qui n’a jamais renié ses origines terriennes et sylvestres, c’est le Dieu Sauvage qui se couche au pied des arbres et comprend le langage des oiseaux. C’est le Cornu, dont les deux cornes sont les antennes qui lui permettent de capter les messages du ciel. C’est le Magicien aux pieds agiles, qui souffle dans sa flûte et nous convie à danser autour d’un feu de joie. Pan, c’est le pouvoir de l’enfance et du jeu, la force du rire, la soif de l’amour, la communion avec la nature immense et vierge. Pan, c’est la revanche de la campagne et des forêts sur les villes ; c’est l’état sauvage contre celui de civilisé ; c’est le monde de l’intuition et de "l’éveil" s’opposant à celui de la raison ; c’est la magie contre la science. [...]

Bien que pourchassé par l’Église de Rome, le sabbat des sorcières serait donc moins une hérésie satanique que la manifestation d’une religion pré-chrétienne, s’enracinant aussi bien dans l’Antiquité grecque et romaine que dans les anciens cultes celtiques et germaniques. La sorcière adorant le "diable", rival noir de Dieu, cacherait en réalité une authentique prêtresse de Pan et une adepte du panthéisme, pour laquelle tout est Dieu, car Dieu est partout, dans chaque objet et dans chaque être vivant. Le dieu Pan est partout : dans les hommes, les animaux, les arbres, les plantes, les pierres, le vent qui souffle dans le soir. Pan désigne la gloire de Dieu sur terre. Car le dieu Pan affirme que Tout est Dieu.

 

Extrait de "Sorcières et démons" d’Édouard Brasey,

publié par Pygmalion Éditions en 2000. 

 

Pan-01.jpgPAN / Chatsworth House, North Derbyshire, England.

 ( Source photographique )

05/01/2013

Salamandres et marche dans le feu…

Les salamandres et la marche dans le feu…

 

Les salamandres, ou les serpents de feu

Les salamandres sont traditionnellement représentées sous la forme de serpents noirs ou de vers vivant dans le feu, qu’il s’agisse d’un simple feu de cheminée, du feu alchimique qui fait bouillir l’athanor ou du feu céleste qui s’exprime au moyen de la foudre. Chez les anciens, ces êtres prenaient la forme de petits tritons qui vivaient dans le feu et s’en nourrissaient, mais avaient également le pouvoir de l’éteindre. C’est ainsi que les armoiries de François Ier montrent une salamandre au milieu du feu, surmontée de cette devise : J’y vis et je l’éteins. 

Ces élémentaux, qui n’ont pas de genre déterminé – on dit indifféremment « un » ou « une » salamandre – sont les plus éloignés de la condition humaine, dont ils n’adoptent ni les formes ni le langage. Ils représentent le feu subtil de l’illumination divine, auquel ne peuvent prétendre que les êtres purs en état de sainteté ou certains initiés. 

 

Benvenuto Cellini giflé pour avoir vu une salamandre.

On classe les salamandres en quatre catégories correspondant aux différents degrés de combustion : les salamandres sont rouges, oranges, jaunes ou violettes, ces dernières étant les plus élevées et les plus subtiles. Pour faire changer une salamandre de couleur, on peut réaliser une expérience avec un simple réchaud à alcool pour fondue : en diminuant ou en augmentant les orifices par lesquels l’air pénètre dans le réchaud, on voit la flamme passer du jaune au bleu-violet.

Dans le chapitre un de ses Mémoires, l’artiste et écrivain italien Benvenuto Cellini (1500-1571) raconte que, dans sa jeunesse, il vit une salamandre se matérialiser dans un feu de bois. Son père, qui avait été lui aussi témoin de l’apparition, administra alors un magistral soufflet à son fils. Devant l’incompréhension de ce dernier, le père Cellini lui déclara alors : « Je t’ai giflé pour que tu te souviennes toujours de ce moment et que tu n’oublies pas la salamandre que tu viens de voir ! »

En tant qu’élémentaux du feu, c’est à dire l’élément le plus élevé, le plus mystérieux et le plus difficile à contrôler, les salamandres sont également associées au feu philosophal des alchimistes. On en trouve mention, entre autres, dans l’étrange récit d’Hector Savinien Cyrano de Bergerac (1619-1655), Histoire comique des États et des Empires du Soleil, dans lequel une salamandre se baigne dans les flammes, pendant que s’affrontent deux bêtes de feu, symbolisant les principes du soufre et du mercure, issus des quatre éléments primaires. Dans les traités alchimistes, la salamandre est le symbole de la pierre fixée au rouge, le soufre incombustible : « La salamandre qui se nourrit du feu et le Phénix qui renaît de ses cendres sont les deux symboles les plus communs de ce soufre ». ( Guy de Tervarent : Attributs et symboles dans l’art profane, 1450-1600).

(…)

 

La marche dans le feu

Les élémentaux du feu sont souvent invoqués dans les cérémonies mystiques et religieuses, notamment dans les cultes animistes et chamaniques, en Afrique, en Inde ou au Japon. Les cérémonies bouddhistes préconisent la présence du feu sur l’autel, destiné à réveiller le feu intérieur qui se trouve dans l’homme sous la forme de la Kundalinî.

Certaines survivances de rituels très anciens utilisent également la marche ou la danse sacrée sur le feu pour purifier et élever les fidèles.

J’ai personnellement eu l’occasion d’assister, il y a vingt ans, à une telle cérémonie ; perpétuée par la confrérie d’Anasténaria, près de Thessalonique, dans le nord de la Grèce.

Les membres de cette confrérie mystique se réunissent chaque année au mois de mai autour de leur chef spirituel. Trois jours durant, ils dansent et chantent jusqu’à atteindre la transe. Au soir du troisième jour, ils enflamment un bûcher en plein air puis étalent les braises rougeoyantes sur le sol. Ils traversent alors ce tapis de feu en dansant, pieds nus, sans ressentir aucune brûlure.

Je pensais que l’état de transe dans lequel se trouvaient les danseurs les avait rendus imperméables à la douleur. Mais l’amie grecque qui m’accompagnait me détrompa : la transe n’avait pas pour but d’insensibiliser les hommes, mais d’apprivoiser le feu. Subjugué par les chants et les danses, le feu sacré était devenu inoffensif. Pour me prouver ses dires, elle se déchaussa et à son tour traversa tranquillement le tapis de braises, pieds nus, sans être blessée par le feu. Elle me précisa ensuite qu’elle avait accompli cet acte sans hésiter et sans éprouver la moindre peur de se brûler. Mais, durant sa traversée du feu, elle avait bien senti qu’elle devait aller de l’avant sans s’arrêter ni revenir en arrière, sans quoi la chaleur du foyer l’aurait immédiatement submergée.

Michel Coquet fut témoin de scènes comparables lors de ses voyages au Japon. A Nagano, près de Tokyo, il assista à une marche sur le feu effectuées par des yamabushis adeptes du Shugendo. Alors que le maître de cérémonie méditait en face du brasier, un grand vent se leva, et les flammes vinrent lécher le corps et le visage du maître yamabushi, qui n’y prêta aucune attention. Les moines qui le secondaient, en revanche, durent s’écarter d’urgence du foyer, tandis que la foule commençait à paniquer. Pendant ce temps, le maître demeurait imperturbable. Michel Coquet explique : « Les salamandres étaient alors parfaitement domptées par la puissance de ses mantras, à tel point que même l’effet du feu ne pouvait plus rien contre lui. Après cette expérience inhabituelle, on étala la braise, et les moines purent marcher sur les braises en toute sécurité ! » (Michel Coquet : Devas, ou les mondes angéliques) 

Mircea Eliade, grand spécialiste du chamanisme, confirme l’existence de cet étrange phénomène. Il en fut notamment témoin lors d’une cérémonie des Fidji : « Durant la cérémonie, un grand nombre de non-initiés, et même des étrangers, s’avancent impunément sur les charbons ardents. Une certaine « foi » et le respect d’un symbolisme rituel sont nécessaires : à Rarotonga, un des Européens, qui s’était retourné pendant la traversée, eut les pieds brûlés. Des cérémonies similaires se rencontrent sporadiquement en Inde. A Madras, un yogin a rendu possible le passage à une multitude considérable d’assistants, non seulement non préparés, mais même nettement sceptiques, dont l’évêque de Madras et toute sa suite ». (Mircea Eliade : Mythes, rêves et mystères & Le Chamanisme)  

Tandis que les auteurs du Dictionnaire des Symboles (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant) mettent eux en lumière « le feu qui ne brûle pas de l’hermétisme occidental, ablution, purification alchimique, symbolisé par la salamandre ».

Edouard BRASEY ( http://edouardbrasey.com/  

Enquête sur l’existence des Fées et des Esprits de la Nature.

(Filipacchi 1996).

 

Voir également, du même auteur :

http://fierteseuropeennes.hautetfort.com/archive/2013/01/...

 

Fire-walk.jpgfire-walking (1).jpg